Folklore Sexuel Belge et Mer du Nord Sexuelle Belge

Jan Fabre

Édité et Offert Par Jan Fabre, Le Bon Artiste Belge

17 mai 2018 – 21 juillet 2018

 

« Guerrier de la beauté et chevalier du désespoir[1]

 

Le bon Artiste Belge Jan Fabre manie l’humour et le mélange des genres avec brio, dans une exposition mêlant deux séries, celle du Folklore Sexuel Belge et celle de Mer du Nord Sexuelle Belge à La galerie Templon du 17 mai au 21 juillet 2018. Dès que nous pénétrons dans ce bel espace de la galerie, on est submergé par un ensemble inédit d’œuvres de différents médias, allant du dessin à la sculpture, qui brosse un portrait complexe, espiègle et subversif de la Belgique natale de l’artiste.

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Jan Fabre, vue de l’exposition – Folklore sexuel Belge, 2018 Mer du Nord Sexuelle Belge, 2017-2018 © photographie Amaury Scharf

Folklore Sexuel Belge et Mer du Nord Sexuelle Belge sont deux volets conçus par Jan Fabre comme une déclaration d’amour critique à son pays. L’artiste nous entraîne dans un voyage délirant à travers l’histoire et l’héritage culturel belge, explorant les liens complexes entre sacré et profane, entre la religion et la sexualité, de la métamorphose au dialogue entre arts et sciences, du rapport de l’homme à la nature, l’artiste comme guerrier de la beauté[2].

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Jan Fabre, Folklore sexuel Belge, 2018 © photographie Amaury Scharf

La première pièce que l’on peut voir sous la verrière de la galerie, est une croix monumentale recouverte de paillettes d’or et de membres génitaux collés ici et là sur toute sa hauteur. Car c’est un jeu entre le sacré religieux, le rituel, la figure christique et la sexualité, plus profane, plus violente mais aussi parfois plus tendre, qui nous est proposé. Toutes les pièces de l’artiste cherchent la sacralité. Les dessins sont encadrés par du velours rouge et du bois doré. Ses figures sont le Christ, l’ange, la vierge.  Toutes ses œuvres rejoignent le domaine du sacré, par leurs statues d’œuvres. C’est ce qui les différencie radicalement des simples choses réelles dont elles seraient indiscernables d’un point de vue visuel ou sensoriel quel qu’il soit.

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Jan Fabre, Mer du Nord Sexuelle, 2017 – 2018 © photographie Amaury Scharf

Danto suggère que l’art est en quelque sorte le substitut ou l’expression d’une religion d’un autre monde. Il existe selon lui un fossé insurmontable entre l’art et la vie, entre les objets d’art sanctifiés et transfigurés et ce qu’il appelle les choses banales ou, pour citer Hegel, la prose du monde. Autrement dit, le monde de l’art est surnaturel et sacré, à jamais séparé de la vie réelle et profane. La sexualité omniprésente renvoie à cette réalité profane, plus crue. Créant alors à l’image des dadaïstes, un anti-beau. Le parfait exemple de cette démarche est la Joconde à moustache, où Duchamp défigure cet écrin, cet objet sacré, en l’affublant d’une moustache.

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Jan Fabre, Folklore sexuel Belge, 2018 © photographie Amaury Scharf

Dans Folklore Sexuel Belge, les différents dessins sacralisés de Jan Fabre sont d’ailleurs des récupérations de petites chromos folkloriques, que l’on retrouvait, à l’époque de sa jeunesse, dans des barres de chocolat. Sur celle-ci, il vient ajouter sang, larme et sexe[3]. Discrètement et pourtant parfaitement visible lorsque l’on s’approche de ces œuvres tout de velours. Les dessins évoquent alors un Bruegel ou un Bosch avec la multiplication de détails cachés en surface qui suscite chez nous une volonté interprétative permanente. Nous sommes alors face à une réelle dispersion rhizomatique[4]. Et « le rhizome est fait de connexions et en tant que système de connexions il déterritorialise[5] ». Sa peinture est fantastique, tout en étant pourtant sacrée et profane entre un réel et un imaginaire[6].

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Jan Fabre, Folklore sexuel Belge, 2018 © photographie Amaury Scharf

Jan Fabre nous montre ses tableaux comme des ex-voto, c’est-à-dire comme des objets placés généralement dans un lieu de culte, un lieu vénéré. Mais l’ex-voto c’est également cette plaque dorée gravée ajoutée par l’artiste sur la surface rouge du cadre. Il transforme alors la galerie templon en véritable lieu de culte folklorique et sexuel.

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Jan Fabre, Mer du Nord Sexuelle, 2017 – 2018 © photographie Amaury Scharf

Tout en regardant les dessins, une musique de carnaval au loin emplit l’espace. Tout est dans cet esprit, des sexes d’hommes de femmes couverts de paillettes rose et rouge, sortant de coquillages montés sur pied, brodés ou accrochés à la croix désacralisée qui trône sous la haute verrière[7].

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Jan Fabre, Folklore sexuel Belge, 2018 © photographie Amaury Scharf

Nous sommes dans un joyeux univers kitsch et folklorique, on se croirait dans une kermesse. Et lorsque l’on arrive au bout de l’espace, l’objet qui produit cette musique populaire se donne à voir ; un orgue de barbarie entièrement customisé de sexes.

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Jan Fabre, Mer du Nord Sexuelle, 2017 – 2018 © photographie Amaury Scharf

Les différents dessins de Mer du Nord Sexuelles et les coquillages sexualisés sont autant de figures qui créent un parallèle avec une autre figure : celle de la conche. Symbole sexuel par excellence, renforcé par Jan Fabre. Des coquillages qui passent en érection, à des dessins de moules qui se font fertiliser par des spermatozoïdes.

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Jan Fabre, Mer du Nord Sexuelle, 2017 – 2018 © photographie Amaury Scharf

Cette symbolique rappelle alors la figure d’Aphrodite, portée nue au centre d’une coquille gigantesque imposée par Botticelli « on estime que tu es née dans une coquille » (te ex concha natam esse autumant[8]). Mais cette indication est surtout, et peut-être seulement, une expression salace, puisqu’elle se poursuit par « garde toi de mépriser leurs coquilles à elles[9] », en référence à la vulve de deux jeunes filles. La « conque de Vénus[10] » comme matrice de la déesse a pu naître d’une collusion entre deux données complices : l’origine marine de la déesse et la valeur métaphorique et sexuelle de la concha[11] Aphrodite paraît surgir d’un coquillage qui, même si sa présence a un sens indiciel et non une valeur narrative primaire, pourrait être l’image du testicule déployé d’Ouranos (selon Hésiode), dont la déesse naît[12].

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Jan Fabre, Mer du Nord Sexuelle, 2017 – 2018 © photographie Amaury Scharf

Ainsi la valeur sexuelle de la coquille et du monde marin ne fait aucun doute dans l’esprit de Jan Fabre. Vénus est dans toutes ses représentations ; symbole de la sexualité, les écumes ; le sperme Ouranien. Dans ses illustrations Jan Fabre créé dans notre inconscient ces parallèles. Il récupère alors toujours le sacré, de la religion à la mythologie, pour s’en amuser et nous provoquer, tout cela sur fond de folklore Belge qu’il critique abondamment avec un amusement que l’artiste ne cache pas.

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Jan Fabre, Folklore sexuel Belge, 2018 © photographie Amaury Scharf

Vous avez à présent toutes les clefs en main pour aller visiter la cathédrale Templon, entre kitsch et provocation, sacré et profane du 17 mai au 21 juillet 2018.

Amaury Scharf, Le champignon d’art, Article « Folklore Sexuel Belge – Mer du Nord Sexuelle Belge » Jan Fabre – 17 mai – 21 juillet 2018.

 

[1] Communiqué de presse, Galerie Templon

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Christine Buci-Glucksmann, L’œil cartographique de l’art, Paris, Galilée, 1996, p.17

[5] Anne Cauquelin, Le site et le paysage, presse universitaire de France, 2002, p.39

[6] Fognini, Mireille. « Traversée d’une exposition de la souffrance « Francis Bacon : le sacré et le profane » », Le Coq-héron, vol. no 180, no. 1, 2005, pp. 139-141

[7] Communiqué de presse, Galerie Templon

[8] Vers de Plaute, Rudens, v. 704

[9] Ibid.

[10] En grec, « on trouve le mot conque tantôt féminin comme κόγχη, tantôt masculin comme κόγχος » (Athénée, 3.86f).

[11] Un mythographe tardif sinon médiéval (Fulgence, Mythologies 2.1 [71]), sans la lier à la naissance de Vénus, justifie, dans un latin maladroit, que la concha soit un attribut de la déesse par la ressemblance de l’animal – qui pourrait être Venus Dione – à un sexe ouvert : « On présente Vénus portant une conque marine (conca marina), parce que l’animal de ce genre en ouvrant tout son corps se transforme en une union sexuelle à ciel ouvert » (portari pingitur, quod huius generis animal toto corpore simul aperto in coitu misceatur, sicut Iuba in fisiologis refert)

[12] Arnaud Zucker, « Album mythique des coquillages voyageurs. De l’écume au labyrinthe », Techniques & Culture, 59 | 2012, 110-125.

 

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