Facteur Cheval / J.R.R. Tolkien

Fantaisies héroïques

11 Juin 2021 – 03 Octobre 2021

Fantaisies Héroïques

Depuis quelques années maintenant je me passionne pour l’art brut, j’ai d’ailleurs à de nombreuses reprises parlées de différents outsiders artistes sur ce blog. Je connaissais alors l’œuvre de Joseph Ferdinand Cheval, alias Facteur Cheval. Et voilà maintenant plusieurs années que sur l’autoroute allant en direction de Marseille je vois le panneau indiquant le palais Idéal de celui-ci, me promettant d’aller un jour voir ce monument de l’art naïf, l’un des plus représentatifs du siècle dernier. Et voilà que je vois pendant l’été qu’une exposition met en relation l’œuvre du célèbre Facteur avec le plus célèbre des auteurs, J.R.R. Tolkien. Comment passer à côté de cette réunion ? Mon attente devient immense et incommensurable, un peu trop même, à n’en pas douter. L’exposition, sans être à tomber par terre, reste sans doute intéressante pour les liens sémantiques qu’elle laisse apparaître. Revenons donc sur cette exposition « Fantaisies héroïques ».

Portrait Joseph Ferdinand Cheval

D’abord Facteur Cheval, est un homme né en 1836 à Charmes, un petit village de la Drôme des collines, au nord de Valence. Devenu facteur, il effectue tous les jours une tournée de trente-deux kilomètres à pied, entre le village de Hauterives et celui de Tersanne.  

« Que faire en marchant perpétuellement dans le même décor, à moins que l’on ne songe ? écrit-il dans un récit autobiographique. C’est justement ce que je faisais ; je songeais. Et à quoi ? me demanderont mes lecteurs. Eh bien ! pour distraire mes pensées, je construisais en rêve un palais féerique dépassant l’imagination, tout ce que le génie d’un humble peut concevoir. »1

En 1876, à l’âge de 43 ans, il bute sur une pierre à la forme étrange, qu’il ramène chez lui. Le lendemain, il en collecte d’autres au même endroit. 10 000 journées, 93 000 heures, 33 ans plus tard, Ferdinand Cheval achève la construction de son « Palais idéal »2. 57 ans après, le bâtiment est classé monument historique par André Malraux, qui dit de lui qu’il est « le seul exemple en architecture d’art naïf« 3

C’est par la façade Est que tout commence. Au centre, une fontaine « La Source de Vie » entourée par un lion et un chien sera la 1ère construction réalisée par le Facteur Cheval. Avec frénésie, il ajoute fontaines, grottes, temples en accumulant pierres, coquillages et mortier de chaux. A droite, il ajoute un tombeau égyptien avec la volonté d’y être enterré avec son épouse, ce qui lui sera refusé.

Frédéric Legros, le directeur du Palais idéal nous dit par rapport à cette exposition « L’histoire de cette exposition commence par une singularité conçue par le Facteur Cheval et que peu de gens connaissent. En effet, saviez-vous que lorsque le Soleil commence à décliner sur le Palais idéal se révèle un grand œil de lumière ? Il va sans dire que ce grand œil lumineux peut pour certains rappeler la figure de Sauron dans le roman Le Seigneur des Anneaux. C’est très certainement l’observation de la nature et du cycle solaire qui amène Ferdinand Cheval à cette réalisation. Le soir, alors que les derniers visiteurs commencent à partir, la façade Est bascule dans l’ombre. Le Soleil, en train de se coucher à l’Ouest, vient éclairer la terrasse sur laquelle se trouve une sphère qui se nimbe alors de lumière. Ainsi, sur la façade orientale, par un jeu de perspective, se dessine un grand œil sans paupière à la pupille emplie de lumière. Ce phénomène très probablement inspiré d’une gravure de Claude-Nicolas Ledoux est la clé de voûte de l’exposition Fantaisies Héroïques.4 »  

J.R.R. Tolkien Bilbo comes to the huts of the Raft-elves, 1937

Le Palais idéal propose alors de faire le lien avec l’œuvre de J.R.R.Tolkien à travers l’univers graphique, un gout prononcé pour  la nature, la marche, deux hommes qui nous font voyager alors qu’eux-mêmes n’ont souvent traversé que leur contrée. Tolkien n’a alors jamais vu le Palais idéal, cette filiation est donc imaginée, mais fonctionne grâce aux inspirations similaires et ce gout pour le rêve et les mondes oniriques. Car l’architecture du Facteur cheval, c’est un langage, un langage naïf certes, mais vrai. En témoignent les nombreux textes gravés au cœur du palais.

J.R.R. Tolkien, Mithrim, 1927 et THe lord of the rings, Camille Henrot, 2012

Tolkien a créé une langue, des noms de peuples et de contrées imaginaires à partir de racines linguistiques variées. L’œuvre de Camille Henrot par exemple, où on peut lire dans l’espace ses Ikebanas, crée un dialogue avec le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien. Elle récupère l’alphabet Cirth, afin de créer pour l’une de ces compositions une inscription autour de l’espace. Les différentes plantes émergent de l’espace pour former les mots « ici gît Ballin Seigneur de la Moria ». Camille Henrot crée alors une passerelle entre la littérature fantaisie et le langage de la flore et de la faune. Sa retranscription spatiale crée un microcosme imaginaire tel qu’il a pu être imaginé dans la Bibliothèque de Babel de Borges. Bibliothèque de savoir du Facteur cheval, au sein de son palais idéal, qui a pour rôle premier, dans le plan d’origine de l’artiste, d’être son tombeau. Il s’inspire notamment de la revue, le Magasin Pittoresque, une encyclopédie populaire, contenant texte sur la morale, l’histoire, l’archéologie, l’art, les sciences naturelles, l’industrie et le voyage. Ses connaissances apprises sont ici regroupées et recréées en sculpture au sein des murs mêmes de son architecture. Les gravures qu’il y découvre deviennent la matrice de l’imaginaire présent au sein de sa construction architecturale. Les mots au sein du palais et dans l’œuvre de Tolkien ont alors une force. Pour Maurice Godelier ils ne sont pas seulement chargés de sens, mais aussi de valeur et d’affect5.

Toutefois et il ne faut pas l’oublier, Facteur Cheval est un artiste de l’art naïf, il pourrait sembler alors que celui-ci cherche à fuir une certaine réalité. J.R.R. Tolkien a fait remarquer alors qu’il ne fallait pas confondre l’évasion du prisonnier avec la fuite du déserteur. Il y a des romans où se manifestent de réelles et profondes qualités d’écriture, où le jeu de l’imagination se déploie intelligemment malgré les contraintes du genre, où les personnages campés sont dotés d’une psychologie élaborée, où sous l’intrigue perce la métaphore qui met notre monde en miroir6.

La façade Ouest amène au voyage. Grâce aux illustrations de son époque, Ferdinand Cheval reproduit dans des niches un Chalet suisse, un temple Hindou, la maison blanche, la maison Carrée d’Alger, un Château au Moyen-Age. Une Mosquée ouvre sur la partie intérieure du Palais idéal, la Galerie.
Sur les colonnes de style classique, il écrit les lettres : C H E V A L, en guise de signature de son œuvre.

Au sein de l’exposition, trois tapisseries monumentales – issues de la Cité internationale de la tapisserie à Aubusson – montrent également le talent graphique de Tolkien, son amour pour la nature et le paysage7.  En effet J.R.R. Tolkien a aussi réalisé un grand nombre d’illustrations, parfois très détaillées pendant l’écriture même de son roman. Par exemple Glorund sets Forch To seek Turin, ici le dragon Glaurung traversant le Narog dans Les Enfants de Hurin, montre de nombreux détails qui lui permette par la suite de décrire avec précision les déplacements de ses personnages8.

J.R.R. Tolkien, Glorund sets Forch To seek Turin, 1927

Le dessin pour Tolkien est un travail amateur, mais qui met en exergue son besoin de représentation. Pour Joseph Ferdinand Cheval la représentation de son Palais Idéal, il la couche sur le papier, il fait un dessin préparatoire – unique document de ce genre – qu’il suivra pendant 20 ans pour réaliser la façade Est de son « palais de fées ». Pour la première fois, ce dessin, provenant de la collection du Musée de la Poste à Paris, revient à Hauterives, là où il a été conçu. Le dessin est aussi directement hérité de Gustave Doré, il utilise la mine de plomb.

Facteur Cheval, Palais idéal, dessin préparatoire, 1882

L’exposition est aussi enrichie par différentes œuvres qui viennent éclairer les deux univers, notamment des références communes comme les gravures de Gustave Doré et de Claude-Nicolas Ledoux…Dans un premier temps, certains liens sont créés entre des illustrations du Magasin Pittoresque et les illustrations de Tolkien. L’exposition met particulièrement en avant le lien avec les dessins de Gustave Doré, par exemple avec le rat et l’éléphant on ressent de manière palpable l’inspiration de Tolkien pour créer ses oliphants pendant la bataille du champ du Pelennor, et pour facteur Cheval ses éléphants sculptés au sein du Palais idéal, éléphant qu’il n’a jamais vu. Il y a aussi plusieurs dessins de Joseph Cadier, réalisés durant la construction du Palais idéal, qui démontrent cet art – commun à J.R.R. Tolkien et au Facteur Cheval – de créer des mondes, de concevoir du merveilleux.

Gustave Doré, Le rat et l’éléphant, 1867

La cerise sur le gâteau, de nombreux artistes qui au cours du 20e siècle ont été inspirés par le facteur Cheval et son palais Idéal, à ne pas manquer !

Vous avez à présent toutes les clefs pour pénétrer le monde onirique du Facteur Cheval et de J.R.R. Tolkien, du 11 juin 2021 au 3 octobre 2021.

Amaury Scharf, Le champignon d’art, Article « Facteur Cheval / J.R.R. Tolkien » – 11 juin 2021 – 3 octobre 2021.

  1. https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/ferdinand-cheval-pour-distraire-mes-pensees-je-construisais-en-reve-un-palais-feerique-depassant
  2. Ibidem
  3. https://www.facteurcheval.com/histoire/
  4. https://limpartial.fr/hauterives-lexposition-fantaisies-heroiques-sinstalle-au-palais-ideal/
  5. Cf. Maurice Godelier, L’Imaginé, l’imaginaire et le symbolique, Paris, CNS édition, 2015, p.50
  6. Cf. Jacques Baudou, La fantasy. Presses Universitaires de France, 2005, p.67
  7. https://limpartial.fr/hauterives-lexposition-fantaisies-heroiques-sinstalle-au-palais-ideal/
  8. Cf. Wayne G. Hammond et Christina Scull ed., The Art of the Lord of The rings by J.R.R Tolkien, p.19

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