Anne – Charlotte Yver, Nelson Pernisco, Victoire Thierrée, Vincent Mauger
28.04.18 – 16.06.18
« Le Blob n’est ni un champignon, ni une plante, ni un animal[1] ».
Nous entrons dans l’exposition à la Galerie Bertrand Grimont comme pour voir une étude scientifique sur le Blob. Dés le passage du seuil de la galerie nous sommes face à des plantes misent en terre à même le sol, au-dessus d’elles des projecteurs lumineux. Mais ils s’agit bien d’une exposition artistique où la notion de Blob, si on peut appeler cela une notion, plutôt la chose que l’on appelle Blob, est à l’honneur. On ne sait pas trop comment nommer cette masse colorée qui s’étale en forêt sur plusieurs mètres carrés, recouvrant des branches entière. On dit que c’est un « protiste » car les biologistes, sans bien savoir où le classer, constatent qu’il n’a qu’une cellule. Mais c’est la plus grande du monde et elle possède d’innombrables noyaux. Il a été appelé « myxomycète[2] » – littéralement champignon gélatineux – car son corps est mou. Mais ce n’est pas un champignon même si comme celui-ci il coule, suinte, ses limites sont indéfinissables, il emplit l’air de ses spores et infiltrent le sol avec ses sinuosités, ses fibres ne cessant de se ramifier et de s’étendre[3].
Mais le Blob rappelle aussi l’univers de science-fiction comme un monstre indéfinissable qui attaque quelques malandrins dans un laboratoire abandonné, tout en étant aussi un sujet de recherche scientifique sérieuse. Le Blob a alors cette capacité de « Cristalliser un imaginaire biologique, allant du chiendent végétal à la prédation animale, et remettant en cause les fondements sociologiques de genres ou d’espèces bio-politiques[4] ».

Dans l’espace de la galerie certaines « queues » ou « fouets » sont laissés sur les mur, ou s’en extirpent. Cette œuvre de Victoire Thierrée est une pièce qui a été confectionnée avec des fils de céramiques utilisés dans l’aéronautique militaire et aérospatiale pour réaliser des tuyères de navettes et des missiles nucléaires. Comme le blob, sa composante paraît indestructible et sa matière indomptable : minérale mais organique, attirante mais dangereuse, cette œuvre semble cultiver les attributs du fétichisme, entre sadomasochisme assumé, et l’arme violente posée avec délicatesse. Une relation antinomique entre son matériel de fabrication et sa fonction, entre la dangerosité et en même temps le désir que procure l’objet.

Anne-Charlotte Yver, nous présente plusieurs œuvres issues de la série Storage Facility. Tel le Blob, la construction est intuitive, modulable, emboîtable et en mutation d’une architecture à l’autre. Mais Le Blob est ici pour l’artiste une machine qui déborde d’énergie vitale, échappant à son contrôle pour mener sa propre vie[5]. Au sol des câbles noirs, venant alimenter les néons ou les projecteurs deviennent autant de ramifications qui s’étendent sur le sol de façon champignonneuse. Comme le Blob les câbles semblent croître anarchiquement dans l’espace, rendant visible l’invisibilité de l’électricité y circulant qui donne la vie à ces machines.

L’œuvre Esperanto de Nelson Pernisco sont des affiches de manifestations vierges contrecollées sur des plaques d’aluminium sur lesquelles des cocktails Molotov ont été jeté. Dans cette œuvre, le geste artistique en est le reflet et le texte politique des affiches est sacrifié pour un autre langage : « trace de fumée, signe de présage et de dissuasion[6] ». Transformées sous l’effet des cocktails Molotov lancés par l’artiste. « Je pense que le corps est un espace politique[7] », dit Nelson Pernisco, l’œuvre évoquant des actions mais ne les montre pas, une œuvre visible qui communique un geste invisible.

Les modules réalisés en matériaux de récupération par Vincent Mauger, progressent et s’adaptent à la galerie. Les panneaux de médium brisés ou découpés sont assemblés selon des formes ouvertes, mais solidaires les unes des autres. A partir de matériaux de construction ordinaires, ce sont des représentations de paysage que l’artiste donne à voir. Constructions schématiques proche de l’univers numérique. Elles sont schématiques car pour l’artiste elles sont des ébauches, des croquis, « Ainsi se superposant à l’espace réel, on découvrira des morceaux de paysages, en quelque sorte des prolongements de l’espace, concrétisant à la fois des images mentales et des lieux propices à la réflexion[8] ».

Les œuvres proposent un entraînement de masse à la conscience du Blob qui implique un lien direct avec l’environnement naturel, social ou médiatique, mais l’exposition dans son ensemble est pensée comme un Blob, aléatoire, confus, adaptatif. Les lignes s’étendent, se croisent, tout s’éclate et se répand, les œuvres se superposent et s’emboitent. Difficile de comprendre le Blob, difficile de nous le faire voir. Mais ici dans la galerie Bertrand Grimont nous le pénétrons et nous le lions surtout à notre propre corps qui peut-être n’est pas si éloigné de cette masse qui se répand et s’adapte.
Vous avez à présent toutes les clefs en main pour étudier ce monstre qu’est Le Blob à la galerie Bertrand Grimont, du 28 avril au 16 juin 2018.
Amaury Scharf, Le champignon d’art, Article « B l ob! » Anne – Charlotte Yver, Nelson Pernisco, Victoire Thierrée, Vincent Mauger – 28 avril – 16 juin 2018.
[1] Cit. Communiqué de presse, galerie Bertrand Grimont.
[2] Cf. « Le blob, cet étrange génie visqueux, ni plante, ni animal, ni champignon », LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 19.06.2017, Nathaniel Herzberg
[3] Cf. Tim Ungold, Marcher avec les dragons, traduit de l’anglais par Pierre Madelin, zone sensible, 2013, p.10
[4] Cf. Communiqué de presse, galerie Bertrand Grimont.
[5] Cit. « Le quotidien de L’art » Édition N°902, 18 septembre 2015
[6] Cit. Manifesto XXI – Magazine Interviews, Art, 29 janvier 2017, « Nelson Pernisco, Entre Révolte Et Création » Par Ana Bordenave
[7] Ibidem
[8] Cit. Dossier de presse, Vincent Mauger, Galerie Betrand Grimont